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Politique de protection des renseignements personnels

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27 février 2024Lettres et allocutions

Lettre sur le Projet de loi n° 47, Loi visant à renforcer la protection des élèves

Garçon de dos dans une classe.
Taylor Flowe/Unsplash
Voici les commentaires de la Commission sur le Projet de loi n° 47, transmis par lettre au Président de la Commission de la culture et de l’éducation. La Commission veut s’assurer que les moyens choisis pour améliorer la protection des élèves ne nuisent pas de manière injustifiée à d’autres droits garantis par la Charte.

PAR COURRIER ÉLECTRONIQUE

Le 22 février 2024

Monsieur André Fortin
Président
Commission de la culture et de l’éducation
Édifice Pamphile-Le May
1035, rue des Parlementaires, 3e étage
Québec (Québec) G1A 1A3
cce@assnat.qc.ca

Objet : Conformité à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne du Projet de loi n° 47, Loi visant à renforcer la protection des élèves

Monsieur le Président,

La Charte des droits et libertés de la personne confie à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse le mandat de relever les dispositions des lois et des règlements du Québec qui lui seraient contraires et de faire les recommandations appropriées[1]. C’est à ce titre que la Commission commente le présent projet de loi[2].

Plus largement, rappelons que la Commission assure tant la protection de l’intérêt de l’enfant, ainsi que le respect et la promotion des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse[3], que le respect et la promotion des principes énoncés dans la Charte québécoise.

Le projet de loi n° 47 interpelle d’autant plus la Commission qu’il se situe à la confluence de cette double mission. D’ailleurs, cela fait maintenant près de 50 ans qu’elle est active dans le milieu scolaire visant, par tous les moyens dont elle peut se prévaloir[4], la promotion et la protection de l’ensemble des droits garantis aux élèves en vertu de la Charte ainsi que les droits qui leur sont reconnus par la L.p.j. Sa connaissance des enjeux de droits propres à ce milieu lui permet de formuler les commentaires qui suivent quant aux moyens proposés par le projet de loi pour renforcer la protection des élèves.

Il va sans dire que la Commission accueille positivement l’objectif du projet de loi.

La Commission insiste : la protection de l’intégrité physique et psychologique des enfants est primordiale. Il est donc essentiel que les mécanismes qui visent à la garantir soient conçus soigneusement pour atteindre cet objectif. Dans le cas du présent projet de loi, cela implique que les moyens choisis pour améliorer la protection des élèves ne portent pas atteinte de manière injustifiée à d’autres droits garantis par la Charte. C’est un exercice délicat, qui exige nuance et précision, mais qui est d’autant plus nécessaire étant donné l’importance de garantir la protection des enfants. C’est dans cette perspective que la Commission formule les commentaires suivants. Il ne s’agit aucunement de questionner l’objectif de renforcer la protection des élèves, au contraire, mais de s’assurer de mettre en place les balises qui garantiront un équilibre concordant et en phase avec l’intention du législateur.

La nécessité de garantir la sécurité physique et psychologique des élèves

Le droit à la sécurité et l’intégrité sont, faut-il le rappeler, des droits fondamentaux que garantit l’article 1 de la Charte. Dans le cadre du projet de loi, la réalisation effective de ce droit conditionne en outre l’exercice d’autres droits des enfants, tels que le droit à la sauvegarde de sa dignité (art. 4) et le droit à l’instruction publique gratuite (art. 40).

Le projet loi n° 47 recoupe également le droit à l’égalité et les droits des enfants victimes de différentes formes de violence sexuelle. Rappelons que ces formes spécifiques de violence et d’abus peuvent compromettre l’exercice de plusieurs droits de la Charte, incluant le droit à la sûreté et à l’intégrité (art. 1) et le droit à la sauvegarde de sa dignité (art. 4) précités, mais aussi le droit au respect de sa vie privée (art. 5) et le droit à l’égalité réelle fondée sur le sexe[5].

Ces droits sont également garantis en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant[6] à laquelle le Québec s’est déclaré lié[7]. Comme le souligne le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, les enfants ne doivent pas être considérés comme de simples bénéficiaires de services ou de programmes sociaux, mais comme des titulaires de droits, dont il faut collectivement assurer la réalisation effective[8]. Il revient ainsi aux États parties à la Convention de prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle[9].

Ajoutons qu’en vertu du cadre normatif des droits de l’enfant, celui-ci a droit à la même protection peu importe où il se trouve, qu’il soit sous la garde de ses parents ou qu’il soit confié à d’autres adultes, dans des structures d’accueil comme les écoles ou les services de garde à l’enfance[10].

C’est en se fondant sur ce cadre que la Commission a, plusieurs fois, insisté sur la nécessité de mettre en œuvre les conditions permettant aux élèves d’évoluer dans un environnement sain, respectueux de leurs droits et qui favorise leur apprentissage[11]. Elle a également eu l’occasion de rappeler l’importance d’une application rigoureuse de l’Entente multisectorielle relative aux enfants victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d’une absence de soins menaçant leur santé physique[12]. Depuis 2001, cette entente vise à assurer la concertation de différents acteurs, incluant les représentants des milieux scolaires, notamment dans les situations où les enfants sont victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques[13].

L’insuffisance des moyens proposés pour protéger les droits des élèves

En regard des constats posés au cours des dernières années, les moyens proposés par le projet de loi et sur lesquels nous reviendrons plus bas, apparaissent d’abord insuffisants pour assurer la protection des droits des élèves.

Le récent rapport d’enquête sur la gestion des inconduites sexuelles et comportements inadéquats[14] fait clairement le constat d’importantes lacunes qui perdurent dans le milieu scolaire, tant en ce concerne la prévention que la gestion des situations problématiques et la mise en œuvre effective des recours existants.

Au chapitre de la prévention, ces manquements ont notamment trait à la formation des intervenants en matière de traitement des plaintes. À titre d’exemple, le rapport souligne que « les directions d’établissement, le personnel enseignant et professionnel ainsi que le personnel de soutien doivent faire face à des problèmes et à des situations pour lesquels ils n’ont pas toujours été formés »[15]. On y fait état de formations qui seraient offertes dans certains centres de services scolaires, mais il ressort du rapport qu’il n’existe aucun modèle de formation sur les violences à caractère sexuel, la gestion des plaintes, la détection des comportements inappropriés et l’importance de dénoncer une situation de violence, etc. Cette absence d’action concertée entraîne une forte disparité entre les centres de services scolaires à cet égard[16].

En outre, le rapport permet de constater des lacunes quant à la détection et la gestion des situations problématiques de même qu’au traitement des plaintes[17]. L’insuffisance de ressources disponibles pour effectuer adéquatement les vérifications préembauches des antécédents judiciaires actuellement exigées par la loi est entre autres soulevée[18]. Dans certains cas[19], le rapport conclut aussi que les comportements à risque auraient pu être détectés avec une vérification périodique des antécédents judiciaires de tous les employés[20]. Compte tenu de l’importance de l’objectif poursuivi, et dans le respect des règles établies par la Charte québécoise à cet égard[21], on peut donc s’étonner que le projet de loi ne prévoie pas plutôt de garantir que la vérification des antécédents judiciaires soit effectuée de manière répétée tout au long de la carrière du personnel scolaire, par exemple tous les trois ans.

De plus, le rapport démontre que plusieurs comportements qui auraient dû faire l’objet d’un suivi administratif de la part des autorités en place — voire d’une enquête policière et du Directeur de la protection de la jeunesse — en vertu des règles existantes, n’ont pas reçu le traitement approprié de la part des établissements et centres de services concernés et n’ont pas fait l’objet de sanctions adaptées. Des comportements n’ont même pas été rapportés correctement au dossier de l’employé ou ne sont pas remontés de l’école vers le centre de services[22]. Dans un cas, par exemple, « le délai de transmission de l’information par la direction de l’école au CSS, quant aux comportements inappropriés […] n’a pas permis d’en assurer la consignation à son dossier »[23]. Ainsi, même si les dispositions proposées par le projet de loi avaient été en vigueur au moment de ces actes fautifs, ceux-ci n’auraient jamais pu être communiqués à un autre employeur.

Force est donc de constater que les lacunes identifiées par le ministère dans le rapport précité — mais aussi par plusieurs acteurs intervenus lors des consultations particulières — ne seront pas corrigées par le projet de loi. Celui-ci est muet quant à l’importance d’améliorer les mesures de prévention des comportements problématiques, de formation des différents intervenants, d’éducation aux droits des élèves et d’accompagnement et de soutien des victimes. Tant les auteurs du rapport que les intervenants ont en outre souligné que les centres de services scolaires et établissements « doivent disposer des ressources nécessaires pour assurer la sécurité physique et psychologique des élèves »[24].

C’est pourquoi la Commission estime qu’il est essentiel que tous les acteurs du secteur scolaire, dont les employeurs et les syndicats, prennent leurs pleines responsabilités dans la mise en œuvre des moyens de protection des élèves. On ne saurait trop insister pour que ces efforts soient accompagnés des ressources humaines et financières suffisantes, en ce qui a trait à la prévention des comportements, à la formation et à l’éducation aux droits, à l’accompagnement et au soutien aux victimes, puis au traitement des plaintes et à la gestion des comportements problématiques.

La vérification des « comportements pouvant raisonnablement faire craindre pour la sécurité physique ou psychologique des élèves » 

Le projet de loi propose entre autres d’ajouter la vérification des « comportements pouvant raisonnablement faire craindre pour la sécurité physique ou psychologique des élèves »[25] à la vérification des antécédents judiciaires et causes pendantes visées par l’article 18.2 de la Charte[26] de même qu’aux autres mécanismes de vérifications ou de plaintes prescrits par la Loi sur l’instruction publique[27] et la Loi sur l’enseignement privé[28]. Ainsi, les centres de services scolaires et les établissements d’enseignement privé devraient notamment s’assurer, avant l’embauche de toute personne appelée à œuvrer auprès d’élèves ou à être régulièrement en contact avec eux, que celle-ci n’a pas eu un tel comportement à l’occasion de l’exercice de ses fonctions au sein d’un autre centre ou établissement[29]. Les centres de services scolaires et établissements privés seraient en outre tenus de fournir les renseignements et les documents qu’ils détiennent et qui seraient nécessaires pour établir l’existence ou l’absence d’un tel comportement. Dans le cas où ils auraient conclu à l’existence de ce dernier, ils auraient enfin le devoir d’informer les autres centres ou établissements où la personne exerce une fonction[30]. Le projet de loi permettrait aussi aux centres et établissements de tenir compte d’une mesure disciplinaire qui a précédemment été imposée à une personne employée en raison d’un tel comportement, nonobstant toute autre disposition relative aux conditions de travail prévues à une convention collective[31].

Tout en reconnaissant l’importance de l’objectif poursuivi par le projet de loi, il convient de souligner que l’élargissement des vérifications en emploi à un éventail aussi vaste et non défini de comportements et de renseignements est susceptible d’entraîner une atteinte aux droits fondamentaux des candidates et candidats à un emploi dans le milieu scolaire. Selon les circonstances, les obligations de vérification et de communication prévues au projet de loi pourraient porter atteinte à des libertés et droits fondamentaux garantis par la Charte, plus particulièrement à la liberté d’association (art. 3), au droit à la sauvegarde de son honneur et de sa réputation (art. 4) ainsi qu’au droit au respect de sa vie privée (art. 5) des membres du personnel concernés[32].

Soyons clairs, cela ne signifie pas que ces droits doivent primer sur les droits des élèves.

En effet, aucun droit n’est absolu et la Charte prévoit les mécanismes permettant d’en justifier la restriction, suivant certaines conditions, en vue d’atteindre un objectif important, comme en l’espèce, la protection de l’intégrité physique et psychologique des élèves. Dans un tel cas, la démarche de justification qui découle de l’article 9.1 de la Charte impose au législateur une démonstration sérieuse, notamment quant au choix des moyens retenus.

Le gouvernement pourrait donc être appelé à « démontrer que la loi restrictive n’est ni irrationnelle ni arbitraire et que les moyens choisis sont proportionnés au but visé »[33]. Cette analyse doit être faite au cas par cas, selon la nature des droits enfreints, mais aussi selon le contexte. À cet égard, on devrait entre autres considérer ici le rôle de l’État dans l’éducation, la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent les élèves par rapport au personnel scolaire, mais aussi la norme de conduite attendue d’une personne enseignante[34].

En l’espèce, on peut penser que cette justification pourrait rencontrer des obstacles, que nous souhaitons porter à votre attention.

D’abord, soulignons que la notion très large de « comportements pouvant raisonnablement faire craindre pour la sécurité physique ou psychologique des élèves » n’est pas définie par le projet de loi. Comme plusieurs intervenants l’ont déjà souligné lors des consultations particulières, une telle imprécision est susceptible d’entraîner une grande disparité dans le type de comportements retenus par les employeurs aux fins des vérifications et communications d’information prévues au projet de loi, mais aussi dans l’appréciation de leur niveau de gravité.

Des mesures qui ne corrigent pas les lacunes actuelles dans l’exercice du droit de gérance des employeurs 

Le caractère flou des comportements en cause pourrait également accroître les difficultés déjà constatées quant à la connaissance par les victimes de leurs droits et des recours disponibles et la confusion existant quant à l’aide que les intervenants du milieu scolaire peuvent leur apporter. Le rapport d’enquête sur la gestion des inconduites sexuelles et comportements inadéquats précité a par exemple révélé que certains centres de services scolaires éprouvent déjà de la difficulté à démontrer qu’un enseignant peut menacer l’intégrité physique ou psychologique des élèves ou à identifier clairement ce qui est un comportement inapproprié[35]. Néanmoins, tel que souligné plus haut, le projet de loi ne fait rien pour corriger les lacunes constatées dans l’exercice du droit de gérance des centres de services scolaires ou des établissements privés.

De plus, outre un renvoi au guide élaboré par le ministre en vertu des articles 258.4 de la LIP et 54.4 de la LEP[36], aucune limite de temps ne semble prévue quant aux suivis des comportements visés, quels qu’ils soient. Le rapport d’enquête précité démontre pourtant que dans la plupart des cas, les sanctions disciplinaires atteignent leur objectif, soit la fin des comportements problématiques[37].

L’imprécision du projet de loi quant aux comportements ciblés et la disparité de traitement qu’elle risque d’entraîner sont particulièrement préoccupantes, compte tenu des conséquences qui en découleraient pour les personnes qui pourraient voir leur réputation affectée, subir un refus d’embauche, voire être congédiées pour une sanction disciplinaire qui pourrait ne pas être contextualisée. Pensons par exemple à un enseignant qui aurait haussé le ton de manière inappropriée dans la classe, dans des circonstances particulières qui ne seraient pas documentées à son dossier. Celui-ci devrait-il porter cette sanction disciplinaire pour le reste de sa vie professionnelle, alors que ce comportement, bien qu’inacceptable, était lié à un contexte bien précis et ne se reproduira jamais ?

Dans cette perspective, on peut s’interroger sur la raisonnabilité d’une qualification qui pourrait suivre un enseignant ou une enseignante pour le reste de sa carrière, sans égard à la nature ou la gravité du geste lui a été reproché et malgré le fait qu’il ou elle se soit amendé[38]. Rappelons qu’à l’exception des infractions sexuelles commises à l’endroit d’un enfant[39], même des infractions pénales ou criminelles peuvent se voir retirées d’un casier judiciaire par l’obtention d’un pardon, après un certain temps[40].

La protection des droits des élèves victimes de violence à caractère sexuel

Les constats résumés dans les sections précédentes préoccupent d’autant plus la Commission que le projet de loi risque d’entretenir la confusion quant au traitement des violences à caractère sexuel en milieu scolaire.

La Commission a déjà eu l’occasion de souligner l’importance de la terminologie employée par le législateur lorsqu’il s’agit de sanctionner la violence sexuelle subie dans différents secteurs d’activités, dont l’emploi et l’enseignement[41]. C’est que « ces violences, souvent genrées et systémiques, prennent des formes variées et peuvent être difficiles à déceler »[42]. De plus, le défaut de nommer explicitement les violences sexuelles peut contribuer à la banalisation de celles-ci, ce qui alimente le manque de confiance des victimes envers les processus de plainte et d’aide[43].

Nommer explicitement les violences à caractère sexuel, incluant le harcèlement sexuel, constitue le premier pas qui permet d’en faciliter l’identification par les victimes comme par les personnes appelées à les aider. C’est aussi indispensable pour assurer la prise en compte de toutes ces formes de violences dans la mise en œuvre des mesures qui permettront de les prévenir, de les combattre, de bien accompagner les victimes et de sanctionner adéquatement leurs auteurs. Enfin, nommer et bien comprendre les différentes formes de violence sexuelle est nécessaire pour en saisir les conséquences graves qu’elles emportent pour les victimes, incluant les atteintes qu’elles emportent à leurs droits, tant en vertu de la Charte que du droit international.

C’est notamment pour ces raisons que les différentes formes de violence sexuelles requièrent des moyens distincts de prévention, de sensibilisation, de responsabilisation, d’accompagnement et d’aide aux victimes.

Certes, prévenir et lutter contre ces violences dans le milieu scolaire rejoint en partie le mandat du Protecteur national de l’élève. Toutefois, celui-ci s’interroge justement sur la multiplication des recours dans le cadre de l’étude du projet de loi. Traitant des articles du projet de loi relatifs au signalement de toute situation mettant en cause un comportement pouvant raisonnablement faire craindre pour la sécurité des élèves, il écrit :

« Or, ces dispositions viendraient englober des situations de signalements déjà couvertes par la LPNÉ. En effet, en vertu de l’article 46 de cette loi, toute personne peut signaler à un protecteur régional de l’élève un acte allégué de violence à caractère sexuel commis en contexte scolaire à l’endroit d’un élève. Un tel acte est manifestement inclus dans les mots “sécurité physique ou psychologique des élèves” que l’on retrouve au projet de loi. Une multiplication des recours et des acteurs est à éviter, de l’avis du PNE, au risque évident de créer une confusion pour les personnes appelées à effectuer des signalements. »[44]

La Commission l’a déjà relevé : « les victimes de violence à caractère sexuel, quel que soit le milieu où celles-ci se déroulent, dénoncent peu les situations vécues »[45]. Or, force est d’admettre que la confusion que le projet de loi entretient quant aux recours et mécanismes d’aide disponibles risque de nuire aux efforts mis en œuvre afin de mettre en lumière et dénoncer ces violences.

Face à ces constats, la Commission recommande que le projet de loi soit modifié afin de s’assurer que les violences sexuelles qui surviennent dans le contexte scolaire fassent l’objet de mesures distinctes ayant trait notamment à la prévention, l’éducation aux droits des élèves, la formation et la responsabilisation des acteurs du réseau scolaire, l’accompagnement et l’aide aux victimes ainsi qu’aux mécanismes de dénonciation et de recours.

À nouveau, les présents commentaires de la Commission ne visent en aucun cas à amoindrir la valeur de l’objectif poursuivi par le projet de loi. Considérant l’importance d’assurer l’exercice effectif des droits des élèves, mais aussi de l’ensemble des droits protégés par la Charte, la Loi sur la protection de la jeunesse et le droit international, la Commission souligne néanmoins la nécessité de mieux cerner les moyens qu’il faut prendre pour améliorer la protection des enfants dans les établissements scolaires. Ces moyens doivent être choisis avec soin, afin de garantir efficacement l’intégrité physique et psychologique des élèves, tout en assurant que les droits fondamentaux du personnel scolaire ne soient pas indument compromis.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération distinguée.

Le Président,

Philippe-André Tessier


cc.
M. Bernard Drainville
Ministre de l’Éducation
ministre@education.gouv.qc.ca

Mme Roxane Guévin
Secrétaire, Commission de la culture et de l’éducation
cce@assnat.qc.ca



[1] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C -12, art. 56, al. 3 et 71 al. 2 (6°) (ci-après « Charte »).

[2] Loi visant à renforcer la protection des élèves, Projet de loi n° 47, (présentation – 6 décembre 2023), 1re session, 43e légis (ci-après « projet de loi »).

[3] Loi sur la protection de la jeunesse, RLRQ, c. P -34.1 (ci-après L.p.j.).

[4] Charte, art. 71.

[5] Voir notamment : Succession de G.P. c. L.P., 2019 QCCA 863 (autorisation d’appeler refusée : n° 38751, (2020) Bull. du 10 janvier de la C.S.C. 24) ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (C.G.) c. Gomez, 2015 QCTDP 14 ;

[6] Convention relative aux droits de l’enfant (1989), Doc. N.U. A/RES/44/25, [1992] R.T. Can. n° 3, R.T. Qué. 9 décembre 1991 (ci-après « CRDE »).

[7] Décret 1676-91 concernant la Convention relative aux droits de l’enfant, (1992) 124 G.O. II, 51.

[8] Comité des droits de l’enfant, Observation générale n° 5, Mesures d’application générales de la Convention relative aux droits de l’enfant (art. 4, 42 et 44, par. 6), Doc. N.U. CRC/GC/2003/5, 27 novembre 2003, par. 66.

[9] Id., art. 3(2), 19, 34 et 36.

[10] Comité des droits de l’enfant, Observation générale n°13 (2011), Le droit de l’enfant d’être protégé contre toutes les formes de violence, Doc. N.U. CRC/C/GC/13, art. 2, par. 33 et 34.

[11] Voir notamment : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Commentaires sur le projet de loi n° 56, Loi visant à lutter contre l’intimidation à l’école, (Cat. 2.412.117), 2012.

[12] Voir notamment : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire au Comité d’experts sur l’accompagnement des personnes victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, (Cat. 2.120-16.5), 2020, p. 10.

[13] Gouvernement du Québec, Entente multisectorielle relative aux enfants victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d’une absence de soins menaçant leur santé physique, 2001.

[14] Ministère de l’Éducation, Rapport d’enquête de portée générale sur la gestion administrative des inconduites sexuelles et des comportements inadéquats, direction générale des affaires internes, direction des enquêtes, 2023, [En ligne]. https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/education/publications-adm/rapport-reflexion-consultation/Rapport-enquete-inconduites-sexuelles-comportements-inadequats.pdf

[15] Id., p. 12.

[16] Id., p. 12.

[17] Id., p. 19 et suiv.

[18] Id., p. 40.

[19] Dont certains ont été rapportés dans les médias. Voir par exemple : Nicola Saillant, « Un cafouillage plus grand que nature : un prof proxénète sort de prison… et redevient prof », Le journal de Montréal, 15 février 2023, [En ligne]. https://www.journaldemontreal.com/2023/02/15/un-prof-proxenete-sort-de-prison-et-redevient-prof; Yves Poirier, « Centre de services scolaire de Laval : vérification d’antécédents judiciaires de 2000 employés », TVA Nouvelles, 23 mai 2023, [En ligne] https://www.tvanouvelles.ca/2023/05/23/centre-de-services-scolaire-de-laval-verification-dantecedents-judiciaires-de-2000-employes.

[20] Ministère de l’Éducation, préc., note, p. 40.

[21] Charte, art. 4, 5 et 18.2. Voir notamment à ce sujet : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Commentaires relatifs au projet de règlement modifiant le Règlement sur les centres de la petite enfance, (Cat. 2.412.98), 2003 ; Emmanuelle Bernheim, Geneviève St-Laurent, Evelyne Pedneault, Sekou Cisse, « La divulgation d’information liées à la santé mentale dans le cadre de la vérification des antécédents judiciaires : marginalisation et enjeux de protection des droits de la personne », dans Barreau du Québec, Service de la formation continue, La protection des personnes vulnérables (2022), vol 507, Montréal (QC), Éditions Yvon Blais, 2022, 119.

[22] Id., p. 43 à 46.

[23] Ministère de l’Éducation, préc., note 14, p. 27.

[24] Id., p. 18.

[25] Art. 4, 5, 9 et 10 du projet de loi.

[26] Rappelons qu’en vertu de l’article 18.2 de la Charte : « Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon ».

[27] RLRQ, c. I-13.3 (ci-après « LIP »).

[28] RLRQ, c. E-9.1 (ci-après « LEP »).

[29] Art. 5 du projet de loi, qui introduirait l’art. 261.1.1 à la LIP et art. 10 du projet de loi, qui introduirait l’art. 54.11.1 à la LEP

[30] Art. 5 du projet de loi, qui introduirait l’art. 266.1.3 à la LIP et art. 10 du projet de loi qui introduirait l’art. 54.11.3 à la LEP.

[31] Art. 5 du projet de loi, qui introduirait l’art. 263 à la LIP et art. 10 du projet de loi qui introduirait l’art. 54.11.5 à la LEP.

[32] Le caractère fondamental de ces droits, que consacrent respectivement les articles 4 et 5 de la Charte, et qui est réitéré dans le Code civil du Québec (RLRQ, c. CCQ-1991) et dans la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (RLRQ, c. A -2.1).

[33] Voir notamment : Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712 ; Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844 ; Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551.

[34] Voir notamment Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 RCS 825.

[35] Id., p. 29.

[36] Auxquels réfèrent respectivement les articles 5 et 10 du projet de loi.

[37] Ministère de l’Éducation, préc., note 14, p. 38.

[38] Voir, par exemple, Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, préc., note 34, par. 2 et 6. L’analyse de la Cour suprême y porte notamment sur le caractère raisonnable d’une sanction sans limite de temps imposée à un enseignement.

[39] En vertu de l’article 4 (3) de la Loi sur le casier judiciaire (LRC, c. C-47), les personnes condamnées pour une infraction visée à l’annexe 1 de la loi ne peuvent avoir accès à la suspension du casier judiciaire que dans certaines circonstances limitées.

[40] Les articles 4 et 4.1 de la Loi sur le casier judiciaire, LRC, c. C-47, prévoient un délai de cinq ou dix ans pour qu’une personne devienne admissible à une demande de suspension du casier judiciaire. L’article 6.1 de la même loi prévoit en outre que nul ne peut communiquer un dossier ou relevé attestant d’une absolution ou révéler le fait d’une telle absolution suivant un délai d’un an, dans le cas de l’ordonnance inconditionnelle, ou de trois ans dans le cas de l’ordonnance conditionnelle. Rappelons qu’en vertu de l’article 18.2 de la Charte précité, nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle si cette personne en a obtenu le pardon.

[41] Commission des droits la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale, Projet de loi n° 2, Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil, (Cat. 2.412.140), 2022, p. 72.

[42] Id., p. 63.

[43] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Lettre à la ministre responsable de l’Enseignement supérieur sur le Projet de loi n° 151, 2017 [références omises].

[44] Protecteur national de l’élève, Mémoire présenté à la Commission de la culture et de l’éducation dans le cadre des consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n°47, Loi visant à renforcer la protection des élèves, 29 janvier 2024, p. 8 (Nos soulignements).

[45] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Notes de présentation devant le Comité d’expertes sur les recours en matière de harcèlement sexuel et d’agressions à caractère sexuel au travail, (Cat. 2.120-16.6), 2022, p. 1.