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Résumé des conclusions d'enquêtes de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse au sujet de l’intervention du DPJ de la Capitale nationale auprès d’enfants confiés au pasteur Guillot

10 août 2016


INTRODUCTION

En octobre 2015, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a été informée de la situation de plusieurs jeunes maltraités pendant des années par un pasteur. Ainsi, elle a appris que le directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) de la Capitale nationale avait reçu et traité des signalements entre 2004 et 2014 concernant ces enfants, et que ceux-ci n’ont pas bénéficié des services de protection qu’ils étaient en droit de recevoir.

La Commission a procédé à une enquête de sa propre initiative. Celle-ci a porté sur le respect de l’intérêt des enfants et le caractère adéquat des interventions du DPJ à la suite des signalements, notamment dans le cadre du processus d’évaluation des signalements tel qu’inscrit aux articles 2.3, 3, 8, 49 et 50 de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ).

L’enquête de la Commission s’est attardée à la situation de deux adolescents, les autres jeunes concernés par les interventions du DPJ entre 2004 et 2014 ayant atteint leur majorité.

L’analyse des interventions du DPJ a été réalisée en tenant compte des lois, de la doctrine et de la jurisprudence en vigueur au moment où le DPJ a traité les signalements.

1. CONTEXTE

Les deux adolescents au cœur de l’enquête de la Commission sont issus de familles membres du groupe baptiste du pasteur Guillot. Ce pasteur avait été exclu par l’Association des Églises baptistes en 2003 à la suite de plaintes concernant ses méthodes éducatives et sa rigidité.

Les deux adolescents, ainsi que d’autres membres de leur famille, ont été confiés au pasteur par leurs parents afin que ce dernier leur inculque la discipline et leur fournisse les services éducatifs conformes à la vision du groupe. Tous deux ont ainsi quitté leur domicile familial, à l’âge de 5 ans pour Sébastien* et à l’âge de 10 ans pour Patrick*. À partir du moment où ils ont été pris en charge par le pasteur Guillot, les jeunes n’avaient plus de contacts avec leurs parents sauf lors des cérémonies religieuses. Le pasteur Guillot assurait leur garde et l’ensemble des attributs de l’autorité parentale. Les enfants étaient scolarisés à domicile par le pasteur ou des membres de sa famille et n’avaient aucun contact avec l’extérieur.

2. FAITS SAILLANTS

2004 à 2006

En décembre 2004, un premier signalement concernant Sébastien et sa fratrie a été retenu et évalué et a conduit à la fermeture du dossier. L’enquête de la Commission a démontré que l’évaluation de ce signalement avait été faite en conformité avec les lois et règles applicables.

La situation de Patrick a été signalée en décembre 2004 entre autres pour négligence, isolement, abus physique et non-fréquentation scolaire. Ce signalement a été reçu alors que le DPJ évaluait le signalement concernant Sébastien et sa fratrie. Toutefois, la décision de retenir pour évaluation la situation de Patrick a été prise 4 mois plus tard et l’évaluation s’est prolongée durant 15 mois pour être complétée en 2006. Ce délai a empêché que l’évaluation de Patrick soit jointe à l’évaluation en cours concernant Sébastien et sa fratrie. Les éléments rapportés dans le dossier de Patrick ajoutaient un éclairage différent à la situation, notamment de possibles abus physiques.

La situation de Sébastien a de nouveau été signalée en 2005. Les délais pour déterminer la recevabilité du signalement et la durée de l’évaluation ont été respectivement de 4 mois et demi et 13 mois.

Malgré la durée des évaluations, les intervenants n’ont jamais rencontré Patrick et Sébastien dans le cadre de l’évaluation de leur situation. C’est le DPJ de l’époque lui-même qui a commandé à ses intervenants de ne pas rencontrer ces enfants. Les intervenants ont précisé à la Commission avoir rencontré plusieurs enfants, dont Sébastien, lors de l’évaluation en 2004. Selon le DPJ, il n’était donc pas opportun de les rencontrer à nouveau, car une telle rencontre créerait trop de pression et serait dommageable pour eux.

Conclusions de l’enquête

La Commission a déterminé que le DPJ avait lésé les droits des enfants en raison des délais pour déterminer la recevabilité des signalements et de la durée indue des évaluations. Par ailleurs, la Commission a déterminé que les allégations d’abus physiques envers l’un des enfants n’ont jamais fait l’objet d’une évaluation. L’Entente multisectorielle relative aux enfants victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d’une absence de soins menaçant leur santé physique, bien qu’applicable à cette époque, n’a pas non plus été appliquée.

Les intervenants n’ont pas informé les jeunes et leurs parents du signalement, et ne les ont pas rencontrés, et ce sur instruction du DPJ lui-même. Bien que les jeunes habitaient avec le pasteur, les intervenants n’ont pas non plus visité leur milieu de vie dans le cadre de ces signalements.

En outre, bien que des vérifications aient été faites auprès de la commission scolaire concernant la non-fréquentation scolaire pour l’un des enfants, le DPJ n’a pas évalué si une dérogation avait été demandée afin de scolariser l’enfant à domicile et si la commission scolaire avait procédé à une évaluation de l’enseignement fourni pour s’assurer qu’il était équivalent à celui offert dans une école, conformément à la Loi sur l’instruction publique. À ce sujet, les intervenants ont précisé avoir évalué eux-mêmes les connaissances académiques des enfants et que celles-ci leur apparaissaient suffisantes. Cette façon d’évaluer une situation de non-fréquentation scolaire ne respecte pas la jurisprudence et les cadres de référence applicables.

Dans les faits, l’évaluation des signalements a consisté en l’examen d’éléments périphériques. À cet égard, les recherches réalisées dans le cadre des évaluations ont permis de questionner certains des éléments signalés, mais pas d’établir la fréquence et la nature précise des éléments questionnés.

De plus, au terme de son évaluation et bien que le DPJ ait rapidement conclu que le groupe dirigé par monsieur Guillot était une secte, le DPJ a fermé les dossiers sans se prononcer à savoir si la sécurité ou le développement des enfants était compromis alors que tel est l’objectif de l’évaluation.

Dans le cas des deux enfants, la Commission estime donc que le DPJ n’a pas pris les moyens pour assurer leur sécurité ou leur développement. Le défaut d’agir avec diligence, le fait de ne pas rencontrer les enfants, leur famille ou de visiter leur milieu de vie constituent autant d’éléments qui sont contraires à l’intérêt des enfants et représentent des lésions de droit. Ceci va à l’encontre des exigences prévues à la LPJ ainsi que des cadres de référence de l’époque pour évaluer la matérialité des faits signalés et la vulnérabilité des enfants.

2013

La situation de Sébastien a fait l’objet d’un troisième signalement en 2013. À ce moment, le DPJ était informé des signalements de 2004 et de 2005, mais ignorait que le dossier avait été conservé. La Commission a constaté que M. Guillot a confié Patrick à d’autres personnes dès que celui-ci a appris qu’il y avait un nouveau signalement. Ainsi, même si le DPJ s’est rendu au domicile de M. Guillot et a tenté de vérifier s’il y avait d’autres jeunes, l’enfant n’y était pas.

Comme en 2005, les intervenants ont été informés que Sébastien participait à un programme d’éducation en ligne et ont déterminé que rien ne permettait d’affirmer que le programme n’était pas valable. Les intervenants ont donc écarté le signalement pour non-fréquentation scolaire.

À nouveau, l’enquête de la Commission a démontré que les intervenants n’ont pas vérifié si une demande de dérogation pour scolarisation à la maison avait été effectuée ou si la commission scolaire avait évalué l’enseignement fourni pour assurer qu’il était équivalent à celui offert dans les écoles. Ils ont donc conclu que le programme scolaire répondait aux normes, alors qu’ils auraient dû se référer aux autorités scolaires.

Conclusion de la Commission

À la lumière des renseignements fournis, la Commission conclut que l’évaluation telle que réalisée ne constitue pas un service social adéquat au sens de l’article 8 de la LPJ.

Au terme de l’évaluation, le DPJ a déterminé que la sécurité ou le développement du jeune était compromis notamment pour motif d’isolement. Malgré cette décision, il a fermé le dossier estimant que le retrait du DPJ du dossier constituait la solution la moins dommageable dans la situation de Sébastien qui subissait beaucoup de pression de son milieu.

Pour la Commission, la décision du DPJ de se retirer du dossier sans autre mesure permet d’établir que le DPJ n’a pas pris les moyens afin de mettre fin aux situations compromettant la sécurité et le développement du jeune alors que tel est l’objectif de la Loi.

2014

La situation des deux adolescents a fait l’objet de nouveaux signalements en 2014. Un premier signalement concernant Sébastien n’a pas été retenu pour évaluation, un second signalement à son sujet et un signalement concernant Patrick ont été retenus le jour même de leur réception et évalués sans délai. L’Entente multisectorielle relative aux enfants victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d’une absence de soins menaçant leur santé physique a été mise en oeuvre.

Le DPJ a conclu que la sécurité et le développement des jeunes ont été compromis et a saisi la Cour du Québec – Chambre de la jeunesse.

Conclusions de la Commission

L’enquête a révélé que l’évaluation de ce signalement avait respecté les dispositions législatives et les divers cadres de référence applicables.

L’enquête a démontré qu’au terme de l’évaluation, de multiples services ont été mis en place pour soutenir les adolescents et assurer leur sécurité et leur développement. La Commission a déterminé que les droits des enfants de recevoir des services sociaux adéquats dans le cadre du traitement et de l’évaluation des signalements reçus en 2014 avaient été respectés.

3. RECOMMANDATIONS

Au terme de son enquête, la Commission a émis des recommandations, notamment :

Au DPJ de la Capitale nationale

  1. Prendre les mesures afin de respecter les délais de rétention de signalement qui sont prévus dans les standards de pratique.
  2. Prendre les mesures afin de réaliser les évaluations des signalements selon les standards de pratique.
  3. Prendre les mesures afin de s’assurer que dans toutes les évaluations de signalement, l’enfant et ses parents soient rencontrés comme le prévoit la Loi sur la protection de la jeunesse, et lorsque l’enfant vit à l’intérieur d’un groupe sectaire ou d’une communauté fermée, prendre les moyens pour assurer sa protection pendant et après ces rencontres.
  4. Lorsque l’enfant ne fréquente pas une école reconnue, vérifier auprès de la commission scolaire compétente, si cette dernière l’a dispensé de l’obligation de fréquenter l’école publique.
  5. Informer la Commission des mesures prises pour se conformer aux recommandations.

De plus, en raison des similitudes entre les éléments soulevés dans cette enquête et ceux de l’étude de la Commission sur la situation des enfants de la communauté de Lev Tahor, et considérant ses travaux sur la situation des enfants impliqués dans des groupes sectaires, la Commission a décidé de réitérer les recommandations qu’elle avait adressées en juillet 2015 à la ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse, à la Santé publique et aux Saines habitudes de vie :

« Considérant que le DPJ et ses employés se disent plus démunis face aux situations d’enfants impliqués dans des groupes sectaires puisque les milieux sont hermétiques, qu’il est difficile d’obtenir les témoignages des enfants et qu’il n’existe pas de guide d’intervention :

  1. de concevoir un guide des meilleures pratiques cliniques et administratives à mettre en place lors de l’intervention en protection de la jeunesse auprès d’enfants faisant partie d’un groupe sectaire ou d’une communauté fermée.
  2. de prévoir une large diffusion du guide et des sessions de formation à l’intention des intervenants de différents milieux (santé, services sociaux, sécurité publique et éducation) susceptibles d’intervenir auprès des enfants faisant partie d’un groupe sectaire ou d’une communauté fermée.
  3. de revoir l’Entente multisectorielle afin de déterminer si son contenu est adapté aux interventions du DPJ auprès des enfants vivant des situations d’abus et de négligence qui mettent en cause leur santé physique ou mentale à l’intérieur d’un groupe sectaire ou d’une communauté fermée.

La Commission effectuera un suivi des recommandations qu’elle a formulées. La Commission demeure préoccupée par le sort des enfants vivant à l’intérieur d’un groupe sectaire ou d’une communauté fermée, de même que sur l’absence d’outils cliniques à la disposition des divers intervenants susceptibles d’intervenir auprès de ces enfants.

La Commission poursuit donc ses travaux afin d’établir des orientations à privilégier pour les enfants vivant de telles situations.

* Noms fictifs pour protéger l'anonymat

>> Communiqué annonçant ce rapport d'enquête